Le joyau ultime d’une frénésie créative
Publié par Prince en mars 1987, Sign ☮︎ The Times est un double album apparu comme une évidence plus que comme un événement médiatique. C’était le bruit d’un artiste en plein vol, générant à une telle vitesse que l’industrie peinait à suivre. Ce disque n’a pas été façonné comme le sont la plupart des albums. Il n’a pas été sculpté. Il a débordé.
Prince laisse de nombreuses idées tomber puis se reconstruire au fil des seize morceaux, parfois au sein même d’un seul titre, plutôt que de créer un univers cohérent. Il considère les genres comme de la matière brute, non comme des frontières : funk, pop, gospel, électro, soul, rock. Et il n’était pas seulement prolifique à cet instant. Il semblait littéralement habité par quelque chose de plus grand que lui, quelque chose qu’il ne saisissait peut-être pas complètement.
Le chemin vers Sign ☮︎ The Times est connu pour être complexe. Il a commencé sous le nom de Dream Factory, un projet de groupe complet avec The Revolution, puis s’est transformé en Camille, projet solo sous un alias vocal accéléré. Prince a distillé le tout dans Sign ☮︎ The Times, un disque cousu à partir d’années de sessions variées, d’idées, d’alter egos et d’émotions, après la séparation de The Revolution et l’abandon de l’album triple Crystal Ball. Et pourtant, rien ne semble décousu. On dirait que Prince a ouvert toutes les fenêtres de son studio et laissé les éléments décider des arrangements, capturant ainsi le chaos.
Le morceau-titre ouvre l’album avec un funk apocalyptique et dépouillé, une boîte à rythmes Linn sèche, des claviers lointains, et des paroles qui avancent comme des gros titres de journaux. Le sida, la violence des gangs, les épidémies de drogue, les tensions de la course à l’espace. Tout y est, livré avec un calme inquiétant. Puis vient Play in the Sunshine, débordant d’une joie frénétique presque excessive, suivi de Housequake, où la voix de Camille, son alter ego, grogne et se tortille sur un rythme qui semble percer le sol. Aucune chanson ne se pose. Toutes mutent. The Ballad of Dorothy Parker ressemble à un rêve raconté en code. Starfish and Coffee est enfantin et surréaliste. If I Was Your Girlfriend joue avec le genre, la jalousie et l’intimité d’une manière encore étonnamment actuelle.
Prince joue presque tous les instruments de l’album. La majeure partie a été construite par lui seul. C’était de la compulsion, pas de l’indulgence. Il ne choisissait pas ce qu’il allait produire. Il essayait de capturer ce qui lui traversait le corps avant que ça ne disparaisse. La musique ne se résout pas toujours. Elle trébuche parfois, tombe en panne, change de forme en plein milieu. C’est précisément cela, le but. Sign ☮︎ The Times ressemble à un message musical divin que Prince a eu le temps d’intercepter pour notre plus grand bonheur.
Un one-man show, une véritable prouesse, et la confirmation que l’ancien prodige de la pop est enfin devenu un artiste accompli.
(Don McLeese, Chicago Sun Times, 1987)
Il a composé certains de ses titres les plus marquants pour un album rempli d’insolence et d’innovation. Avec Sheena Easton, U Got the Look est devenu un mastodonte commercial, mêlant synthés distordus et assurance animale. I Could Never Take the Place of Your Man a enveloppé déception et tristesse dans un écrin de power-pop. Strange Relationship palpitait d’une intimité brutale. Puis il conclut toute l’expérience avec Adore, une ballade soul si limpide, si mise à nu qu’on dirait qu’elle a été écrite d’un souffle, rappelant à chacun que rien n’est figé.
Bien qu’il ait été difficile à classer lors de sa sortie, Sign ☮︎ The Times a été largement salué. Il n’avait ni la clarté rock de stade de Purple Rain, ni la sophistication conceptuelle de Parade. Il était sale, précipité, implacable – ce qui le rendait génial. Prince a livré un album qui semblait humain dans son désordre, au milieu d’une décennie obsédée par le vernis et le contrôle. Par moments, les ambiances changent sans raison, et des maladresses sonores restent en suspens. Pourtant, une force s’en dégage. C’est le son d’un artiste qui refuse d’adoucir les angles de son inspiration.
Prince a attrapé une fièvre plutôt qu’un album avec Sign ☮︎ The Times. Une époque où la compréhension peinait à suivre l’élan créatif. Il était à la fois le message et le véhicule. Il n’a pas créé en artisan mais en canal, d’où un résultat qui ressemble davantage à une carte de tout ce qu’il était et aurait pu être, plutôt qu’à une simple collection de chansons. Plus de trente ans plus tard, l’album conserve toujours sa force et son urgence. Il reste l’une des rares œuvres de la pop à se sentir totalement libre, non pas hors du monde, mais parfaitement audacieux face à lui.