The strength behind the softness
Strong Enough est une main ferme posée sur ton épaule à deux heures du matin, un murmure qui touche plus profondément qu’un cri. Publié sur l’album Tuesday Night Music Club en 1994, ce morceau a plus de poids que ses frères plus bruyants, All I Wanna Do et Leaving Las Vegas. Construit sur une ossature country-folk avec une percussion discrète et une guitare acoustique en colonne vertébrale, il donne l’impression d’avoir été écrit d’un seul souffle et habité pendant des années avant d’être enregistré.
Né dans une brume de collaboration, ce morceau a vu le jour. Le Tuesday Night Music Club de Crow était un véritable rendez-vous hebdomadaire de musiciens et d’auteurs, un collectif informel réunissant le producteur Bill Bottrell et des musiciens comme David Baerwald et Kevin Gilbert. De cette scène sont sortis des morceaux qui semblaient déjà faire partie de la vie. Strong Enough n’a pas fait exception. Sa force brute est un résidu d’émotion, pas un vernis de studio. On sent presque la pièce respirer entre les accords.
La voix de Crow est proche, sans être sentimentale. Elle ne supplie pas. Elle ne pleure pas, ne sanglote pas. Elle demande, sur ce ton tremblant qui oscille entre détermination et effondrement : « Es-tu assez fort pour être mon homme ? » Ce n’est pas une ballade pour les romantiques perdus. C’est pour les meurtris, les méfiants, ceux qui ont compris que l’amour tient moins aux grandes déclarations qu’à l’endurance. La vulnérabilité bouleverse non parce qu’elle est mise à nu, mais parce qu’elle est maîtrisée. Crow ne se désintègre pas. Elle négocie pour survivre.
C’est une autrice-compositrice-interprète dotée d’un vrai talent pour les refrains accrocheurs et un style naturel et enjoué, à mi-chemin entre la pop et la country, porté par une forte personnalité.
(Chris Willman, Los Angeles Times, 1994)
Strong Enough semblait remarquablement simple dans une décennie dominée par le grunge et l’ironie. Il portait la douceur du Laurel Canyon des années 70, mais avec un état d’esprit des années 90 : sans illusions, sans héroïsme, juste une conversation sincère dans un monde à bout de souffle. Il laissait s’exprimer un autre type de puissance féminine, fondée sur la persévérance plutôt que sur la posture ou l’effet de voix. Et celui-ci, à la différence des titres plus tapageurs, s’est faufilé lentement dans la société, trouvant sa place dans des bandes originales, à la radio tard le soir, et dans la vie de gens qui, d’habitude, ne se retrouvaient pas dans les chansons pop.
La longévité du morceau vient de son refus du drame. Il repose sur de petites vérités, chantées d’une voix douce, avec des questions chuchotées. Les Grammy Awards viendraient plus tard, tout comme les stades remplis de Crow et les centaines d’articles d’analyse, mais Strong Enough est ce moment où la pièce s’est tue, et où l’on s’est contenté d’écouter. Parfois, ce sont les chansons les plus douces qui résonnent le plus fort.