Groove et grâce
Une certaine forme de grâce ne nécessite aucun ornement. Sorti en 1988 comme troisième single de Stronger Than Pride, Nothing Can Come Between Us arrive enveloppé de cette grâce rare. Avec une autorité feutrée, Sade Adu, déjà silhouette taillée dans la soie et la fumée, guide le morceau. Bien qu’il ne dévie jamais, le groove prend son temps. Tout dans le mix est utilisé pour créer cette sensation : la ligne de basse oscille avec patience, la guitare flirte avec le funk, et les claviers respirent comme s’ils venaient de se réveiller.
La chanson repose sur la retenue. Non comme une faiblesse mais comme une force. Chaque élément est discret mais chargé de personnalité : les claviers d’Andrew Hale, le phrasé de guitare de Stuart Matthewman, la basse de Paul Denman. Le groupe ne submerge pas la voix de Sade. Il gravite autour. Cette voix ne crie pas, ne se lamente pas. Elle dit. Sûre d’elle, affirmée, intime. Les paroles parlent de loyauté, d’un lien mis à l’épreuve par les événements et les circonstances mais toujours intact. Une possibilité sans métaphore. Énoncée simplement, portée par la mélodie, la vérité s’impose.
La pop et le RnB commençaient à tendre vers le maximalisme au moment où cette chanson est sortie. La production de la fin des années 80 empilait souvent les couches, les batteries compressées et la brillance numérique. Sade empruntait d’autres voies. Leur univers était fait de sensations et d’espace ; leur séduction était une combustion lente plutôt qu’un spectacle. Comme une lettre manuscrite dans une pièce remplie d’enseignes au néon, Nothing Can Come Between Us s’est glissée dans ce paysage. Et d’une certaine façon, elle a parlé plus fort.
Encore un morceau sombre, centré sur les percussions, dans une production veloutée. Du Sade typique.
(Music & Media magazine, 1988)
Sade n’a jamais été un groupe cherchant à faire les gros titres. Ils avançaient avec intention, disparaissaient sans fracas, puis revenaient avec des œuvres qui semblaient sculptées plutôt que simplement construites. Leur refus d’inonder le marché donnait à chaque sortie une forme de gravité. Ce n’était pas un son nouveau lorsque Nothing Can Come Between Us est arrivé sur les ondes ; c’était la suite d’une conversation entamée des années plus tôt avec Your Love Is King et Smooth Operator. Et à chaque fois, le langage devenait plus net.
Aujourd’hui, la chanson est bien plus qu’un joyau de la fin des années 80. Elle résiste à toute tentative de classification stricte et conserve sa place entre pop, jazz et soul. On la reprend, on en parle à voix basse, mais elle n’est jamais vraiment imitée. Avec le temps, sa force tranquille ne faiblit pas. Elle demeure. Comme toute la discographie de Sade, elle invite à écouter avec attention et à rester un peu plus longtemps dans l’instant, plutôt qu’à fuir.