Un homme, un micro, une prison
Le 24 février 1969, lorsque Johnny Cash est entré dans la prison de San Quentin, ce n’était pas pour faire le spectacle. Ce n’était pas non plus une quête de salut. C’était un conflit. Cash connaissait bien le pouvoir d’un public captif puisqu’il avait déjà joué à Folsom l’année précédente. Mais San Quentin était tout autre chose, avec son image plus sombre et son côté plus dur. Il n’y avait aucune prétention. Juste Cash, son groupe, une foule de gars qui comprenaient ce que signifiait être oubliés, et le bruit des pas sur le béton. Ce n’était pas vraiment un concert, mais plutôt un face-à-face ; Cash était dans son élément.
L’album commence déjà dans une atmosphère tendue. « San Quentin », la chanson écrite spécialement pour le spectacle, est criée comme un défi. Dès le deuxième couplet, les prisonniers hurlent comme si quelqu’un avait enfin exprimé à voix haute ce qu’ils réfléchissaient depuis des années. Cash n’a pas un public, il joue avec eux, rit avec eux ; il marque des pauses quand ils crient. La scène et le quartier cellulaire se confondent. C’est dans ce brouillard que quelque chose d’électrique se produit.
Avec June Carter, Carl Perkins et les Statler Brothers, et accompagné par les Tennessee Three, le spectacle est à la fois brut et tranchant. La setlist oscille entre gospel, standards country bruts, ballades de meurtre et lamentations de prison. Pour la première fois ici, des chansons comme « A Boy Named Sue » ont été enregistrées presque par hasard. Les imperfections persistent. En plein milieu des morceaux, on entend les amplis bourdonner, des signaux manqués, voire Cash qui s’emporte contre une équipe de tournage de la BBC. Rien de tout cela n’adoucit le choc. Au contraire, cela le renforce.
San Quentin, je déteste chaque centimètre de toi. Tu m’as coupé et tu m’as marqué de part en part.
(Johnny Cash, 1969)
Cash ne faisait pas l’éloge des criminels. Il ne les plaignait pas non plus. Il leur donnait de la reconnaissance, une voix extérieure qui connaît son chemin à l’intérieur. Ses rencontres personnelles avec le pouvoir et la dépendance étaient des événements historiques, pas un rôle. Et il interagissait avec ce public plus qu’il ne jouait pour lui. Cela donnait au disque l’impression d’une écoute clandestine venue d’un lieu authentique. Un véritable enregistrement brut, trop vivant pour être poli.
San Quentin n’était pas simplement un album live. C’était une fracture sociétale. Des millions d’exemplaires ont été vendus, faisant de Cash un nom familier partout à nouveau, et marquant l’une de ces rares occasions où country, rock et protestation respiraient à l’unisson. Voici un homme en noir chantant pour les invisibles et les condamnés dans une époque déchirée par le Vietnam, les droits civiques et le changement générationnel. Et d’une manière ou d’une autre, il illuminait la salle en faisant cela.