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Going Up The Country – Canned Heat

Quand le blues a pris les chemins de traverse

Comme un vent s’engouffrant par une fenêtre brisée, la flûte voltige ; juste en dessous, le moteur démarre, régulier, poussiéreux, bouillonnant. Going Up the Country commence dans le mouvement pur, sans aucun avertissement. Ça sent la sueur sur du denim, et ça suggère le mouvement. Bien que léger, le falsetto d’Alan Wilson pèse comme mille virées en voiture, du genre où le ciel semble infini et où la seule musique à la radio, c’est ton propre cœur. Comme la portière d’un vieux pickup qui claque, le rythme se cale.

Wilson n’était pas un homme de tonnerre. Il se perdait souvent, parlait avec les arbres, marchait sans bruit. Il trouvait la paix dans les balades en forêt et les vieux blues oubliés. La mélodie ici vient d’Henry Thomas, un Texan qui, dans les années 1920, enregistrait à la flûte en bois. Wilson l’a reprise sans ironie, sans trop la polir. Il l’a laissée respirer, laissée rouiller. Ce faisant, il a construit un pont entre le blues du perron et la liberté de la banquette arrière.

La chanson a flotté sur l’été 68 comme un signal radio ricochant sur chaque colline sèche entre San Francisco et Woodstock. Les objecteurs de conscience y ont entendu un hymne. Les enfants dans les festivals l’ont adopté comme un mantra. Elle disait tout sans crier. Pas de drapeaux géants, pas de slogans immenses. Juste un petit désir de bouger, de fuir, de secouer la poussière et de disparaître. Le moment n’était pas un hasard ; les routes ressemblaient à des veines emportant le sang loin de la blessure, et le pays brûlait.

Certains la considèrent comme l’hymne officieux du rassemblement de Woodstock en 1969.

(Robin Lloyd, KNKX, 2012)

La vie de Canned Heat relevait du désordre. Leurs concerts étaient des huttes de sueur. Wilson s’envolait pendant que Bob Hite grognait. Ils traînaient le blues à travers le désert avec les amplis encore bourdonnants, sans jamais chercher à l’enjoliver. Leurs prestations étaient lâches, effilochées, électriques. Ce morceau, pourtant, est leur feu le plus contenu. Il ne cogne pas. Il avance. Comme le souvenir d’un mouvement transmis de main en main, il roule comme une roue qui se souvient des pistes de charrettes.

Encore aujourd’hui, on l’entend sur les routes ouvertes, dans les films, dans les pubs. Sa force réside dans sa légèreté et dans la manière dont il s’ancre rapidement dans le ventre. Il n’a pas besoin d’excitation ni de reverb. Il propose le son de l’Amérique en partance vers un ailleurs paisible, verdoyant, peut-être meilleur. Il se déploie comme quelqu’un qui fait son sac en silence, jette un œil à la carte, puis s’en va dans le matin.

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