Une bande-son pour un film perdu dans les rêves
La Ritournelle instaure une ambiance qui demande, mais impose en douceur l’attention, dans la montée lente et délicate de ses accords d’ouverture. Répétitive dans sa structure, la ligne de piano avance comme une pluie tiède sur une vitre, changeant d’émotion à chaque cycle. Toujours plus attiré par la sensation que par la démonstration, Sébastien Tellier construit cette œuvre comme une longue respiration suspendue. Elle progresse doucement, avec une batterie enregistrée par Tony Allen qui semble marcher pieds nus dans un rêve, sans précipitation, sans retour en arrière. Le groove s’installe rapidement, puis tout se déploie comme un murmure sur sept minutes.
Dans un moment de bascule, entre désordre personnel et clarté esthétique, Tellier écrit La Ritournelle. Il traverse alors Paris, vêtu comme un mystique des années 1970, parlant par énigmes, agissant comme si le temps n’avait plus de consistance. Surgie comme un rituel, cette chanson crée un cycle hypnotique qui autorise les émotions sans chercher à les nommer. Il n’y a ni virage brusque ni rupture, juste une vague de cordes qui s’élève doucement derrière le tempo, comme l’écho d’un souvenir lointain mais familier.
À contre-courant des pulsations mécaniques de l’époque, ce morceau marque un tournant dans la musique électronique française. Là où d’autres bâtissent des structures de métal et de béton, Tellier plante des jardins dans l’ombre. La Ritournelle a résonné dans les défilés de mode, à la radio, dans les films et dans les cafés où la nuit ne s’éteint jamais. C’est l’une de ces rares chansons qui s’infiltrent dans les cœurs sans demander la permission, traversant les esprits sans les bousculer. Sa beauté réside dans sa patience : elle te laisse y plonger, puis t’y retient.
Dans la brume du petit matin, mes doigts sont simplement tombés là, presque par hasard.
(Sébastien Tellier, Les Inrockuptibles, 2020)
Tellier a souvent affirmé qu’il voulait créer une musique qui donne l’impression de flotter ; La Ritournelle en est l’exemple le plus proche. Avec l’aide de Philippe Zdar, du duo Cassius, qui avait compris la beauté de la répétition, les cordes ont été arrangées. Sans avoir besoin de paroles pour transmettre un sens, l’ensemble prend la forme d’une transe minutieusement construite. La voix de Tellier arrive enfin, comme si elle remontait des profondeurs, teintée de mélancolie mais sans tristesse. Elle reste un instant, puis s’efface, ne laissant que l’écho du voyage.
La Ritournelle occupe encore une place particulière dans la vie de nombreux auditeurs, même des décennies plus tard. Elle appartient à cette étrange catégorie de morceaux qui semblent exister en dehors du temps. Elle porte le poids des soirées sans fin et le parfum du souvenir. C’est le moment le plus pur de Tellier, pas le plus bruyant, mais le plus vivant, loin de l’image qu’il a pu donner à l’Eurovision, lorsqu’il représentait la France avec une immense main bleue et des lunettes noires.