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Mezzanine – Massive Attack

Une nouvelle vague d’obscurité.

Cela commence par un battement de cœur noyé dans des parasites. La porte d’entrée d’Angel grince, révélant un monde où le stress devient rythme et où la texture remplace le chant. Mezzanine a permis à Massive Attack d’entrer dans une architecture sonore plus profonde, bâtie de corrosion et d’ombres, de fréquences rampantes et de silences sculptés. Déjà célébré pour ses œuvres précédentes, le collectif de Bristol a choisi une route qui a étendu sa palette de couleurs vers des territoires inexplorés. Construit sur une base qui palpite comme le flux sanguin d’une ville sans sommeil, l’album marie dub, post-punk et ambient avec une précision cinématographique. Chaque morceau semble respirer seul, transportant l’auditeur dans un monde fondé sur la densité, l’intimité et la puissance.

Les sessions d’enregistrement de Mezzanine furent immersives et intenses. La passion de Del Naja pour l’échantillonnage digital a transformé des fragments de guitare, de percussions et de bruits en une matière nouvelle, modelable. Chaque mesure de Risingson s’effondre comme un mur intérieur. Inertia Creeps danse à la limite du contrôle, portée par des gammes orientales et une voix qui ondule comme de la vapeur sous pression. L’ADN du disque révèle l’influence de groupes comme The Cure ou PIL, mais l’arrangement reste incontestablement Massive Attack – patient, précis, superposé avec intention.

Comme un cadeau venu de l’éther, Teardrop s’est imposé. D’abord prévu pour une autre artiste, le morceau a trouvé sa véritable voix grâce à Elizabeth Fraser, qui l’a façonné en quelque chose d’éternel et profondément humain. Entourée de beats filtrés, d’accords de Rhodes et d’un poids émotionnel souterrain, sa voix s’élève doucement dans le mix. Chargée de mémoire et de métamorphose, l’atmosphère du morceau résonne à travers des décennies de musique marquées par son élégance. Rien n’est précipité, rien n’est forcé. La chanson flotte, portée par la seule puissance de sa présence.

Massive Attack utilise le contraste comme langage principal tout au long de l’album. Au milieu des courants denses du disque, les interventions d’Horace Andy apportent un ancrage délicat. Dans Man Next Door, son interprétation compose un récit sonore à la fois universel et profondément intime, traversant chambres d’écho et textures distordues. Des morceaux comme Black Milk et Group Four progressent avec une lenteur calculée, révélant à chaque écoute de nouveaux éléments – comme une lumière changeante traversant un vitrail. Cette musique relève du rituel, non par répétition, mais par révélation.

C’était un moment de chrysalide. Nous cherchions à émerger sous une forme nouvelle. Nous avions traversé toute cette période des années 90 où nous étions vus comme les petits nouveaux, intégrés à ce mouvement appelé trip-hop, sorte de satellite périphérique qui tournait autour de la Britpop. Et aucun d’entre nous ne s’identifiait à ça. Nous voulions simplement affirmer clairement notre propre identité.

(Robert Del Naja, Wallpaper, 2018)

L’identité de Mezzanine repose en grande partie sur son design visuel. L’ambiguïté superposée de la musique se reflète dans l’artwork choisi,  minimaliste, organique, légèrement troublant. En invitant le public dans leurs univers façonnés, le groupe a transformé ses performances scéniques en installations audio-visuelles. Aucun geste brusque, aucun spectacle pour le simple plaisir du spectacle. Juste une immersion parfaitement pensée, où chaque lumière et chaque son soutient une vérité émotionnelle plus profonde.

Sorti en 1998, Mezzanine a apporté des idées neuves à un moment précis où beaucoup pensaient que la décennie avait déjà épuisé tout son potentiel musical. Massive Attack a montré comment tension et sérénité peuvent cohabiter dans un même souffle, comment la beauté peut contenir sa propre forme de décomposition. Leur empreinte s’étend largement, dans les rythmes introspectifs de Burial, dans la tristesse orchestrée de Kid A, dans les expérimentations ambient des producteurs actuels qui bâtissent des mondes entiers à partir de dissonances et de soupirs. Cet album n’a pas suivi une voie. Il en a tracé une.

Mezzanine conserve une intensité et un équilibre rares. Il agit comme une œuvre complète, et non comme une réaction ou un commentaire. Chaque élément remplit une fonction, chaque minute ouvre sur quelque chose de plus vaste. Il invite à l’immersion totale, à l’abandon complet. Sans refrains accrocheurs ni sommets spectaculaires, il offre quelque chose de plus durable : une architecture de sensations, un crépuscule sonore qui se déploie avec le temps. Mezzanine affirme une place dans l’histoire de la musique contemporaine qu’aucun autre album ne revendique de cette manière.

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