Dérive en boucles douces
Le disque commence comme le jour filtrant à travers des rideaux de gaze, avec Instantané qui déploie ses accords en spirales languissantes. Douce, régulière, enveloppée de mélancolie et de textures nettes, la voix repose juste au-dessus des synthés. Avant cet album, Simon Mény et Pierre Rousseau avaient déjà publié quelques titres, dont une reprise envoûtante de La Ballade de Jim, hommage à Bashung qui révélait déjà leur exigence de justesse et de profondeur. Recto Verso leur a permis de créer un paysage où la chanson française flotte sur des rythmes house sans jamais heurter. La voix traverse le rythme, prudente et présente, comme quelqu’un qui marche sur un trottoir humide.
Chaque morceau ressemble à une photo prise dans un lieu calme. Toi et moi capte le battement de cœur d’une nuit dont on ne se souvient que par fragments. Les mots reviennent par nécessité, non par insistance. Ni trop forts ni trop faibles, les vocaux sont intégrés comme des instruments. La fabrication respire. Les percussions apparaissent comme des pas sur du marbre. Les lignes de basse frôlent la poitrine. L’album ne court jamais. Il s’étire et se plisse pour révéler des couches en bordure du silence. Dans la retenue, il y a de la chaleur ; dans la lenteur, de la clarté.
Une sensibilité partagée pour les textures et l’équilibre a uni le duo, rencontré par des amis communs. Pierre avait une formation classique et aimait la structure, le design. Issu de la mode et du chant, Simon apportait une attention minutieuse au phrasé et à la présence. Tard le soir, écoutant la ville par les fenêtres ouvertes, ils ont travaillé dans un appartement parisien. Le son de Recto Verso contient ces pièces, ces heures, ces murs trop fins pour filtrer les scooters qui passent et les klaxons lointains.
Le nom de l’album suggère une forme de symétrie. Chaque morceau capte une ambiance ; chaque arrangement se replie sur lui-même. Comme un souffle retenu sous l’eau, Miroir s’ouvre sur des boucles qui scintillent comme la lumière à travers le verre. Hémisphère trace une trajectoire à travers les saisons, sa forme précise mais libre. La langue française épouse les rythmes sans résistance, elle se courbe avec douceur, fluidité. Seul le mouvement dans l’immobilité subsiste ; il n’y a ni chutes soudaines ni apogées. La manière dont les villes expirent quand plus personne ne parle se reflète dans cette musique.
*Recto Verso* est profond, complexe, passionné et en constante évolution. S’il n’est pas reconnu comme un exemple remarquable de production électronique, qu’on s’en souvienne alors comme d’un album attachant, porté par sa sensibilité lyrique.
(Radio UTD, 2016)
Paradis puise dans de nombreuses inspirations. Dans les voix, on perçoit des accents de Sade et d’Étienne Daho. Les rythmes évoquent les débuts de la house de Chicago, limpides et physiques. Mais le résultat n’appartient à aucune époque précise. Vivant dans son propre temps, éloigné de l’urgence et proche de la sensation, Recto Verso invite à une écoute en solitaire, au casque ou sur de petites enceintes, fenêtres ouvertes, pensées suspendues. Pluie du matin, promenade du soir, longs trajets en métro l’appellent naturellement.
Sa sortie coïncidait avec un moment où la musique électronique française se tournait vers plus de punch et de clarté. Paradis proposait quelque chose de plus doux, plus introspectif, sans renoncer à la danse. Librairies, cafés, chambres à coucher devenaient des lieux pour leur musique. Elle circulait lentement, de message en message, de main en main. Certains morceaux figuraient dans des playlists de club tardives, aux côtés de compositeurs ambient. Ceux qui ont ressenti son rythme se souviennent de la présence de Recto Verso comme d’un murmure.
Après le CD, le duo s’est arrêté. Pierre s’est tourné vers la musique de film et les projets solo. Toujours lié au son et à la voix, Simon a suivi sa propre voie. Leur déclaration principale reste Recto Verso, complet et lumineux. Le disque s’exprime dans sa propre tonalité. Il ne pose pas de question. Il ne propose aucune explication. Il avance. Il dure. Il vous traverse en silence, comme un inconnu dont l’odeur vous reste encore, des heures après.