Pas de refrain, pas de pitié
Reptilia donne des coups de talons, grince des dents, et explose en une des attaques rock les plus serrées et épurées des années 2000 juste après que cette ligne de basse rampante se soit faufilée hors de l’ombre. Pas de montée en puissance, pas d’avertissement, juste The Strokes brandissant le cool désabusé de New York comme ils l’avaient toujours menacé de le faire. Au début de 2004, sorti en tant que deuxième single de Room on Fire, c’est la chanson qui a montré que la foudre pouvait frapper deux fois même avec une cigarette encore pendue aux lèvres.
Là où This Is Reptilia venait plus tranchant, plus fort, et plus affamé ; il était rempli d’un charme langoureux et de graisse garage. Comme des câbles électriques dans une bagarre, les guitares, offertes par Nick Valensi et Albert Hammond Jr., claquent et s’entrelacent. Bien que chirurgical, ce n’est pas flamboyant. Puis il y a Julian Casablancas, râpant à travers un mur de distorsion comme s’il essayait d’étrangler le micro pour le mettre en obéissance. Détaché mais désespéré, ironique mais fort. C’est une interprétation vocale si terne qu’elle fume.
Reptilia se distingue par sa résistance à s’égarer. Cette chanson ne contient aucune graisse superflue. Chaque mesure est crispée ; chaque note est nécessaire. Le refrain frappe fort. Comme si c’était juste un mardi de plus dans un purgatoire post-rupture, Julian chante, « The room is on fire as she’s fixing her hair. » Et pourtant, tu le crois. Le génie des Strokes est de faire ressentir le détachement comme une confession. Faire paraître l’apathie comme si elle pouvait t’écraser la poitrine.
Le rock était dans un étrange entre-deux à l’époque. Le mainstream étouffait dans un post-grunge beige tandis que le nu-metal s’étouffait dans sa propre rage. The Strokes ont montré comment se regarder dans le miroir sans flancher. La renaissance du sleaze indie a trouvé sa star brillante avec Reptilia, une chanson qui a redonné du grain à la musique guitare dépourvue de toute nostalgie. D’une manière qui ne demandait pas d’approbation, elle était contemporaine, froide, et cool.
Capturée en écrans partagés et regards vides, la vidéo de la chanson était une parfaite anti-glamour, sans histoire, sans éclat. Reptilia a toujours été moins une déclaration qu’une posture. Une chute sans blague. Un riff que tu fredonneras en faisant semblant de t’en foutre. Et deux décennies plus tard, il t’enlace encore la colonne vertébrale comme un souvenir que tu n’as pas cherché mais dont tu ne peux te défaire.