L’instrument brut derrière les riffs les plus iconiques
Cette guitare est apparue pour la première fois à la fin des années 1940, dans un atelier de Fullerton, en Californie. Leo Fender ne savait pas jouer de la guitare. C’était un penseur pragmatique et un réparateur radio peu enclin à la magie musicale. Il cherchait un instrument pouvant être produit en série, simple à réparer, et capable de résister aux exigences de la route et de la scène. Née en 1950, la Broadcaster fut d’abord connue sous le nom de Telecaster suite à un litige juridique avec Gretsch. Ce qui comptait le plus, c’était la clarté, pas le nom. Cet instrument ne ronronnait pas, ni ne séduisait. Il commençait à parler. Tranchant, clair, parfois irrespectueux.
La Telecaster fut la première guitare électrique à corps plein très populaire. Pas parce qu’elle était flashy, mais parce qu’elle fonctionnait, elle fut le modèle de tout ce qui suivit. Deux micros. Une simple plaque d’aulne. Une plaque de contrôle simple et un manche vissé. C’était tout. Simple. Pas de profils. Juste un son authentique et une attaque immédiate. Les guitaristes country l’adoraient. Les bluesmen y trouvaient sa morsure. Les rockeurs, sa puissance. Elle n’a jamais défini un genre. Elle les a traversés.
James Burton la brandissait derrière Elvis et Ricky Nelson. Muddy Waters la rugissait à Chicago. Buck Owens et Don Rich la faisaient scintiller depuis Bakersfield. Avec Start Me Up, Keith Richards en fit une machine à riffs ; Bruce Springsteen la portait comme une armure. Joe Strummer en jouait comme d’une arme. Par le destin plus que par conception, elle devint l’outil du musicien travailleur. L’attitude rythmique brute et le son de la sueur.
La Telecaster possède une certaine rigidité. On lutte un peu contre elle. Contrairement à une Strat, ta main n’entoure pas ton manche. Le micro chevalet est impitoyable. Il est brillant, parfois tranchant, constamment franc. On ne peut pas se cacher derrière. C’est pourquoi les joueurs en quête de clarté et de tranchant y reviennent sans cesse. Tout est là : le twang, le claquement, le chaos coordonné. Country, punk, reggae, indie, même jazz. La Telecaster ne flatte pas du tout. Elle exige.

Une partie de sa mythologie provient de ce qu’elle n’a pas changé. Bien que d’autres modèles aient évolué avec des courbes et des humbuckers, la Telecaster est restée pour l’essentiel immobile. Elle a ignoré les tendances. Elle ne cherchait pas le confort. Elle a conservé sa forme de planche, son sélecteur distinctif, son grain agressif assumé. C’était la Fender qui ne battait jamais des yeux. Son intégrité analogue résonne encore dans un monde d’excès numériques.
Vous la trouvez sur de toutes petites scènes comme dans d’immenses stades. Sur des albums de dub ou de musique country. À Tokyo, Brixton et Nashville. Non pas parce qu’elle est un classique, mais plutôt parce qu’elle persiste. Rééditer la Telecaster est inutile. Elle n’est jamais partie. Elle a été construite avec précision dès la première fois. Et ce rare sentiment de permanence, en musique comme dans la vie, est inestimable.
Aimer la Telecaster, ce n’est pas en être nostalgique. Il faut l’accepter selon ses propres termes. Cruelle, claire, défiant tout. Comme un ami franc qui ne ment jamais, une guitare qui joue avec vous plutôt que pour vous. C’est cela, peut-être plus que le son, l’origine ou la nostalgie, qui fait d’elle l’un des meilleurs instruments jamais construits.