Le grand cessez-le-feu de la britpop
Dans un 1996 parallèle, quelque part entre les disquaires de Camden et le ciel gris de Manchester, quelque chose d’improbable a pris forme dans l’air. Les tabloïds ne l’ont pas vu venir, pas plus que les mecs du NME. Et pourtant c’était réel, aussi réel que la parka de Liam et la frange de Damon : Blur et Oasis faisaient un album ensemble.
Tout a commencé avec un quiz de pub.
Pas un de ces trucs polis avec du vin et du fromage, mais une confrontation moite et trempée de bière, un vendredi soir dans un coin miteux de Soho. Damon Albarn, à moitié saoul et totalement compétitif, avait crié de l’autre côté de la pièce que Revolver des Beatles était surestimé. Noel Gallagher, deux pintes au-delà du pardon, avait hurlé en retour que Parklife était la bande-son des promeneurs de chiens de la classe moyenne. L’altercation s’est intensifiée, les insultes ont volé, les verres ont tremblé. Mais puis, par une bizarrerie cosmique, les deux leaders ont tendu la main vers le juke-box en même temps. Leurs mains se sont frôlées. End of a Century de Blur a rencontré Cigarettes & Alcohol d’Oasis. Pendant un instant, le temps s’est plié sur lui-même.
« Tu sais quoi, mec », a dit Noel en fixant le juke-box comme s’il venait de révéler un secret, « on devrait faire un album. Leur montrer à tous. Blurasis. Oalur. Peu importe. »
Damon, avec un sourire qui sentait l’ennui des règles, a levé sa pinte et dit simplement, « À condition que je puisse chanter un truc vraiment misérable. »
Et ainsi commença l’histoire.
Le projet était entouré de secret. Pas de presse, pas de fuites, pas de roadies. Le studio, un bâtiment quelconque à Brixton, était loué sous le nom de “The Mild-Mannered Spatulas”. À l’intérieur, c’était le chaos. Graham Coxon ramenait des accords de jazz expérimental. Noel les annulait d’un simple regard. Liam refusait d’enregistrer s’il n’y avait pas de Yorkshire Tea. Alex James insistait pour jouer torse nu. Bonehead hochait la tête et essayait d’avoir l’air sage.
Et pourtant, ça marchait.
Les sessions créatives étaient autant magiques que chaotiques. Un morceau, Rainy Cigarettes on Primrose Hill, voyait Damon susurrer des paroles existentielles sur un riff écrasant de Noel, une sorte de bulldozer qui traverse un séminaire de philo. Un autre morceau, Mockney Soul Revolt, faisait hurler Liam sur la télévision pendant que Graham jouait de la clarinette à travers une pédale de distorsion. Même Dave Rowntree eut son moment de gloire, jouant des cuillères sur des canettes de Stella vides.
Les disputes étaient légendaires. Un après-midi, Liam lança un tambourin sur Damon parce qu’il avait dit que Definitely Maybe était “un peu monotone”. En retour, Damon remplaça le micro de Liam par un qui ne fonctionnait que si on restait parfaitement immobile. Un miracle, dirent certains. Mais chaque fois que tout menaçait d’exploser, quelqu’un jouait la démo de Velvet Revolution Breakfast Club – un morceau d’une beauté si poignante qu’il faisait pleurer même les roadies. Cette chanson maintenait le projet en vie.
L’album, finalement intitulé Common People on Supersonic Holidays, était une brique psychédélique dans la vitrine de la britpop. Il mêlait l’arrogance ouvrière d’Oasis à l’ironie arty de Blur. Il y avait des sections de cordes, des monologues criés, des solos de guitare en feu et un orchestre de cuivres entier sur un morceau appelé Lager for the Masses. Il y avait même une piste cachée où Liam lisait un poème sur les beans on toast.
La sortie était prévue pour le 23 septembre 1996 – un lundi gravé dans les archives de l’histoire musicale alternative. La pochette montrait un Morrissey pixélisé pleurant dans une flaque de Marmite. Les DJ radio pleuraient de joie. John Peel se serait évanoui de bonheur, en murmurant : « Ils ont craqué le code. »
Les fans ne comprenaient pas ce qui leur arrivait. Les fidèles de Blur étaient abasourdis d’entendre Damon chanter sur des guitares Oasis. Les inconditionnels d’Oasis avaient du mal avec les références à Baudelaire et aux échantillons de papier peint. Et pourtant, de cette collision naquit un chef-d’œuvre. L’album atteignit la première place dans dix-sept pays, dont un qui n’existait pas officiellement.
Tout changea.
Jarvis Cocker partit vivre dans une communauté. Thom Yorke acheta un synthé et arrêta de parler en phrases complètes. Les Spice Girls retardèrent leurs débuts, incertaines que le monde soit prêt. Même Noel et Damon, devenus partenaires créatifs improbables, se surnommaient “ce génie complètement à l’ouest”.
On parla d’une tournée, mais elle n’eut jamais lieu. Liam disparut dans les Alpes françaises avec une monitrice de snowboard. Damon partit au Mali et revint avec vingt instruments de percussion et une passion pour les chèvres. L’album resta seul, comme Stonehenge avec de meilleurs refrains.
Des années plus tard, interrogé sur cette période étrange, Noel haussa les épaules.
« C’était dingue, mec. Mais génial. Comme essayer de monter un lion en écrivant de la poésie. Tu saignes, mais la vue est inoubliable. »
Et Damon, sirotant un smoothie bio à la paille compostable, se contenta de sourire.
« Certaines choses », dit-il, « ne prennent sens que dans des mondes parallèles. »
Dans notre timeline, les fans débattent encore de Blur vs. Oasis. Mais ailleurs, dans un monde pas tout à fait comme le nôtre, ils ne sont pas rivaux. Ils sont juste les deux faces du même vinyle, tournant à l’infini sur la platine de ce qui aurait pu être.